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LA MATÉRIALISATON DU SYNDRÔME DU PRISONNIER

2007 - Vincent Ravalec (écrivain)

LA MATÉRIALISATON DU SYNDRÔME DU PRISONNIER SUR DES TOILES DE DIFFÉRENTES TAILLES DONT CERTAINES SONT RECOUVERTES DE SABLES D'ÉTOILES, PEUT PROVOQUER DES DISTORSIONS RÉTINIENNES.



Au départ il n’y a que des morceaux épars. La pièce est grande, blanche, et la lumière y pénètre par une ouverture triangulaire dont la pointe est dirigée vers le bas. Il y a du carrelage au sol et une boule de cristal est posée à côté d’un d’assemblage d’objets -l’Arbre du Prophète, l’avion de Saint-Exupéry, retenu dans un filet métallique. Il y aussi des toiles, de toutes dimensions, adossées contre un mur.


Dans une autre pièce, on trouve des livres, dont certains font allusion à des secrets qui n’intéressent que peu de gens. Peut-être sont-ils trop compliqués, ou alors trop simples, en tout cas certainement hors de portée d’un grand nombre, et l’homme qui habite cet endroit, prisonnier, en attendant sa libération regrette parfois qu’il en soit ainsi.


Lui-même ne sait pas pourquoi il est là, ni quand prendra fin son incarcération. Il sait juste qu’afin de déjouer les pièges de la longueur d’un temps qui n’est pas le sien il doit résoudre un rébus dont les données se trouvent tout autour de lui, et qui mêle ce que nous appelons communément l’espace, la mémoire, les formes et les origines.


Il a à sa disposition un certain nombre d’éléments qui sont comme des pièces d’un puzzle qu’il devra, au fur et à mesure, forger. Il dispose pour cela d’une technique irréprochable et de fragments d’histoires qu’il lui faut entremêler. Mélangés à des souvenirs qui évoquent la chute étrange d’astéroïdes en orbite autour d’étoiles aujourd’hui oubliées, la lumière de ce passé affleure partout, à la lisière des tableaux qu’il peint, appelant les esprits élémentaires qui peuplent notre planète et les dirige vers la voûte céleste, relevant notre regard vers une complexité du monde en permanence posée devant nous, mais dont nous avons oublié les clefs.


Chaque œuvre est donc une porte vers une compréhension de l’être, de ses possibilités. Si elle flirte ouvertement avec le mythe, c’est non pas comme une représentation figée proposant des schémas déjà acquis au cours de l’évolution de la peinture, mais plutôt comme une embarcation naviguant vers des rives difficilement dicibles. Elles mêlent à une conception du monde classique des approches de voir et de devenir où se tissent des abîmes inconcevables.


Le prisonnier attend le bon vouloir des juges. Il sait que les toiles doivent être vues. Qu’elles prennent toutes leur dimension dans leur matérialisation physique. Il a patiemment découpé des champs de forces et les a mélangés aux sables tombés du ciel. Paradoxalement, le résultat est immatériel. Il plonge le regard dans une circonférence hypnotique qui dépasse l’horizon et fait pénétrer l’œil à l’intérieur des strates naturelles de la mémoire du monde, de systèmes disparus, où le magnétisme supplée à une émergence encore primitive de la forme. Si tout va bien, c’est ce que devraient percevoir les visiteurs, sans forcément se le formuler. Ce que par contre ils ne sauront pas, c’est qu’en fait, par ses peintures, le prisonnier a essayé de se fabriquer avec les moyens du bord un radeau lui permettant de quitter cette dimension. Evidemment formulé de cette manière cela peut prêter à sourire.


Partir avec Eve, vers les étoiles... Avec des peintures. C'est quelque chose d’inconcevable.


Oui, si l’on croit encore que la Terre est plate et que le soleil tourne autour de nous. Mais si vous regardez bien les toiles de Guy-Rachel Grataloup, elles vous expliquent justement tout autre chose, un endroit où la géométrie du monde n’est pas figée. Et, ma foi, même si c’est difficile à appréhender, c’est peut-être pour cela qu’il y a la peinture.


Vincent Ravalec (écrivain) - avril 2007

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